Qui ici a déjà fondé un club de p’tites gardiennes dans l’espoir de faire de l’argent et d’avoir des amies cool dont au moins une immigrante qui s’habillait super fashion? Anyone? Juste nous? Ah OK.
Depuis que les enfants n’ont plus le droit de travailler dans les usines de coton ni dans les mines (mais comptez sur notre futur premier ministre Éric Duhaime pour nous ramener ça, au nom de la liberté), les jeunes qui veulent se faire un peu d’argent de poche doivent trouver d’autres solutions. Garder des enfants est une de ces solutions.
Autres moyens de gagner des sous à 13 ans : pawner son petit frère, ouvrir un kiosque à limonade et prétexter l’inflation pour la vendre 8$ le verre (si ça marche pour les épiceries!), inventer le prochain Facebook.
– Mathieu, qui était un jeune entrepreneur
Caroline et Mathieu, à leur lointaine époque d’avant les pagettes et l’internette, ont suivi leurs cours de gardien.nes averti.es, un cours de quelques heures permettant ensuite d’avertir les gens que leurs enfants vont être gardés. D’où le nom.
Mais si on est vraiment honnêtes, leurs mad skillz de gardiennage (jouer au Super Nintendo pendant que les enfants dorment, fouiller dans la pantry pendant que les enfants dorment, rêver à ce qu’on va faire avec le 20$ qu’on se fait pendant que les enfants dorment, s’endormir devant Le combat des clips pendant que les enfants dorment, etc.), iels les ont appris en lisant Le club des baby-sitters.
Publiée de 1986 à 2000, la série originale compte 131 livres en anglais, dont 66 ont été traduits en français.
On pouvait donc lire la série en entier en une fin de semaine.
– Caro, qui s’ennuie du temps où les week-ends étaient longs et les livres courts
Et aujourd’hui, nous avons décidé de relire le tout premier tome :
Christine a une idée géniale

Note de la rédaction
(C’est nous, ça.)
Mathieu, homme moderne qui possède à la fois une liseuse électronique, un abonnement à la BAnQ et assez de confiance en lui pour lire un livre sur un club de filles sans avoir peur que les gosses y tombent, a lu l’édition française traduite du coup en 2015, où la moitié des personnages ont les noms de la version anglaise et l’autre non, pour une raison obscure qu’on a décidé de blâmer Éric Zemmour pour.
Caroline, inénarrable nostalgique, a tiré de sous son lit de femme mature sa précieuse boîte dans laquelle elle garde amoureusement les numéros d’origine de 1990 (il lui manque d’ailleurs les #52-53-54 et 62 à 66, elle est prête à payer envoyez-lui un DM), traduits au Québec où tout est adapté pour se passer au Québec, incluant l’explication super weird «je me faisais trop écoeurer à mon école à Toronto parce que j’étais diabétique faque mes parents sont venus s’installer à Nouville, kekpart dans un triangle entre Sherbrooke, Matane pis Chibougamau, mais je retourne quand même régulièrement à la tour du CN pour voir mon médecin».
Il y a donc des disparités entre les noms de personnages, mais on s’en torche un peu, c’est pas comme si on était en train de vous faire une thèse comparative entre les multiples traductions de L’Illiade non plus.
Le synopsis
L’idée géniale de Christine, ce n’est pas un essoreuse à salade numérique avec wi-fi, ni d’organiser une tournée réunion d’Infini-T. Son idée géniale, c’est de mettre fin à l’exploitation de jeunes filles de 12-13 ans et de monnayer leur labeur émotionnel en misant sur un modèle hybride capitaliste-socialiste, où le but avoué est de faire du cash en surveillant des morveux puis en mettant en commun une partie des avoirs pour créer une société meilleure (par «société meilleure», on veut dire faire un party pizza, mais avec de toutes petites pizzas, parce que 9 piasses de pizza en 1990, ça faisait déjà pas beaucoup de pizza).
La première partie du livre est une exploration des difficultés de la communication dans les relations interpersonnelles et professionnelles, alors que quatre filles tentent en vain pendant plusieurs pages de faire une réunion, mais que ça adonne jamais. Ann M. Martin n’aurait rien eu à dire pendant 50 pages si les filles avaient rempli un Doodle.
La deuxième partie du livre montre combien les jeunes filles sont compétentes en tant que gardiennes : l’une doit empêcher une voisine d’estropier un chat à coups de râteau rouillé plein de tétanos, l’autre se fait donner quatre fois plus d’ouvrage par des parents sans scrupules qui combinent leur progéniture en espérant avoir un prix de groupe style Costco, une autre consigne dans le journal de bord, écriture avec des points en forme de coeur à l’appui, qu’il «n’y a rien à dire» sur sa soirée de gardiennage. Elles vont finir par se chicaner en se disant que leur linge est laitte pis qu’elles sont bébé lala, puis se réconcilier à temps pour manger de la fondue au fromage, fêter des fiançailles et passer un beau message de tolérance que les personnes diabétiques sont comme nous, au fond.
À travers ça, Christine, la narratrice et fille qui a eu une idée, doit apprendre à accepter que son père est un slacker qui est parti s’acheter un paquet de cigarettes un moment donné, n’est jamais revenu, habite maintenant en Californie (ou sans doute à Montmagny dans la version québécoise), oublie parfois d’appeler à sa fête et ne paye pas une viarge de cenne de pension. Sa mère veut se remarier avec un homme qu’elle fréquente depuis à peu près trois semaines et demie, parce que les Américains capotent sur le mariage, mais Christine le prend pas et passe des p’tits commentaires passifs-agressifs vraiment surprenants de la part d’une ado de 13 ans. On lui confie aisément une trâlée de kids à garder en vie un vendredi soir, mais on lui confierait pas l’animation d’un atelier de gestion des émotions.
Nos bouts préférés
Les enfants misogynes : «Rob détestait les filles – y compris Rosie, Brenda, la mère de Simon, sa propre mère et toutes les baby-sitters filles!» Paraît que Rob est aujourd’hui un youtubeur très populaire.
Les compliments : Voyant son amie Claudia maquillée, Christine s’exclame : «Claudia! Ton visage! Tu ressembles à… tu es maquillée comme… un clown, je veux dire… c’est si vif…» Ce à quoi Claudia répond «Merci!».
La génie qui est juste une maudite fatigante en fait : La sœur de Claudia est présentée comme une génie avec un QI de 196. QI qui ne lui sert visiblement qu’à connaître des règles de français. Complexée par sa sœur, alors qu’elle a de la difficulté à l’école, Claudia se confie à ses parents : «Quand je leur ai expliqué que je n’étais pas comme Jane, ils m’ont répliqué qu’ils s’en étaient aperçus.» C’est présenté comme une belle conversation qu’ils ont eue, mais on ne sait pas comment le lire autrement qu’une réponse vraiment bitch de la part des parents.
La communication inefficace : Deux des filles communiquent chaque soir en faisant clignoter des lampes de poche à leur fenêtre, et en 35 minutes elles ont le temps de se dire genre deux phrases. Ces deux phrases servent généralement à dire qu’elles vont se parler demain.
Le logo : Quand vient le moment de dessiner un logo pour «Les baby-sitters», les filles font un brainstorm de quelques minutes sans l’aide d’aucun coach en créativité ni spécialiste freelance en branding personnel et la première version du dessin de Claudia est acceptée à l’unanimité, sans même de version V4_final_CK_REV_approuve_FINAL5_bonneversion.
L’amusant quiproquo : En 1990, on pouvait aisément avoir la puce à l’oreille que Mignon et Perlette, les jumeaux de trois ans que Christine doit garder, étaient en fait des chiens (eille on s’excuse de vous spoiler ça si vous l’avez pas lu). En 1990, à 7 ans .on se serait trouvés vraiment fins limiers d’avoir vu ça venir. En 2022, on a été ben surpris du punch, parce que ça aurait legit pu être des prénoms d’enfants du Mile-End.
Le club des gardiennes queers?
À 7-8 ans, on pouvait pas vraiment dire qu’on avait un gaydar, ni qu’on savait déceler des passages finement queer coded dans la littérature jeunesse payée 4,95 $ dans un Perrette juste à côté d’un présentoir de Craven A. Mais en rétrospective, on avait quand même un p’tit feeling que Kristy était pas la fille la plus… hétéro de la gang.
On dit pas ça parce qu’elle porte yienque des pantalons cargo pis des casquettes pis qu’elle conduit une Subaru, on dit ça parce qu’elle passe une cinquantaine de numéros à trouver que ses amies sont donc ben poches de tripper sur des gars pis que quand elle s’essaye, elle, avec son ami, ça marche pas pantoute pis c’est awkward as fuck. Ah, aussi, l’autrice, Ann M. Martin, est homosexuelle (pas que c’t’un big deal, juste que c’est un bon indice mettons).
Clair qu’on n’a pas pu s’empêcher de faire «ooooooh» en lisant un passage comme celui-ci :
– Ton frère est trop mignon, Kristy.
– Je suppose. Pour un garçon.
– Non, vraiment… Et toi, il n’y a aucun garçon qui te plaît?
J’ai fait la grimace.
– Mais… pourquoi?
– Chut, ai-je murmuré. Oh, écoutez! (…)
Nous avons toutes tendu l’oreille, mais on n’entendait aucun bruit.
– Bah non, ce n’était rien !
Une simple tactique pour changer de sujet de conversation.
En 2022, on bannit des livres pour moins que ça au Texas.
Est-ce que c’est un bon livre? On vous dit ça après la pause publicitaire.
Le 2e meilleur club au monde
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Les leçons d’une girlboss
Christine a une idée géniale, c’est non seulement le premier tome d’une série populaire pour enfants qui relate combien il s’en passe en hostie des affaires en un an dans une ville de genre 40 habitants quand ta job c’est de garder des ticrisses, mais c’est aussi le premier tome des aventures d’une véritable girlboss qui mène son empire financier du haut de ses 13 ans pis de sa calotte.
Ce que les baby-sitters nous apprennent, c’est que tout travail mérite salaire et que ce n’est pas parce que les femmes sont en majorité dans les métiers issus du care qu’on doit pour autant considérer ça comme un acquis gratuit dans notre société.
Tout au long de la série, on les voit valoriser le travail de gardiennage, demander leur juste dû, exiger que les parents respectent leurs disponibilités et recruter de nouvelles membres juniors dans une optique d’expansion et de mentorat. On voit aussi la présidente se taper des p’tits powertrips de temps en temps, capoter un peu trop sur l’argent, se lancer dans des grands projets qui échouent de façon spectaculaire et considérer que la job passe avant tout le reste, car que serait une girlboss sans ça?
Certains (genre Mathieu [et le professeur au début du livre!]) trouvent que Christine manque de tact. D’autres (genre Caroline) répondent que Christine a 13 ans, man, et que si elle avait été un gars, on aurait dit d’elle qu’elle a un tempérament de leader qui ne s’en laisse pas imposer.
Sexisme ordinaire! Hétéropatriarcat! Arcade zygomatique!
– Caroline, 11 ans, en furie et en vocabulaire en 1990
Faque tout ça pour dire que c’est encore pas mal bon, Le club des baby-sitters.
Ann M. Martin aurait pu se contenter de raconter des péripéties de gardiennage un peu clichés, genre deux jumeaux turbulents qui font un dégât de gâteau au chocolat, ou une hilarante anecdote d’enfant qui gonfle et devient rouge après avoir mangé une toast au beurre de pinottes (nous apprenant au passage les mots «choc anaphylactique» et une excellente leçon sur l’administration intramusculaire d’auto-injecteur d’adrénaline). Ça aurait suffit. L’auteur de la série Chair de poule ne se cassait pas plus le bécyke que ça, après tout, et ça marchait : on l’a tous lue, la trente-septième histoire avec un sous-sol épeurant où se trouve un objet mystérieux. Mais Ann fait mieux, et place presque le gardiennage un peu en retrait, pour plutôt passer du temps avec ses personnages, qui ont du caractère et des émotions.
Du caractère, des émotions, et… du diabète, cette maladie qui fait de toi la risée d’une école, au point où tu dois quitter la grand-ville, où tout un chacun te pointe du doigt dans la rue en criant « Ha ha! C’est la fille qui mange pas de sucre! What a louseuse! »
Au fil de la série, même si c’est parfois maladroit en rétrospective avec nos yeux et notre sensibilité de 2022, l’autrice aborde des thèmes délicats : le racisme (avec le personnage de Jessie, dont la famille est la seule famille noire en ville), la maladie chronique (avec les défis du diabète de Sophie), le capacitisme (avec des personnages d’enfant autiste et d’enfant sourd), les familles reconstituées, l’adoption, le deuil, le maquillage de clown…
Vas-tu finir tes 116 pages?
Ben ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii on a fini le livre, pis on a comme envie de lire le numéro 2, parce que eille, Claudia reçoit des appels mystérieux comprends-tu? c’est super freakant OMG (mais comme vraiment moins freakant que le Frissons La gardienne).
Pis on le sait que tu te le demandes, alors on ne te laissera pas languir davantage :
Mathieu est clairement une Christine.
Et fier de l’être!
– Mathieu-Christine
Caroline est une Anne-Marie habillée à 30 % comme une Claudia.
Une forte en maths comme Sophie réviserait ce pourcentage à la baisse.
– Claudia
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