Vous pardonnerez le titre clickbait, mais on ne savait pas comment vous attirer dans ce texte autrement que par cet habile subterfuge. Voici quand même une photo de makeover de rutabaga, pour votre peine.

Au commencement, il y a le sein nourricier. T’ouvres la yeule en chignant un peu, pis bam! Une boule aussi grosse que ta tête vient se déposer entre tes lèvres retroussées, et c’est le trajet le plus court que ta bouffe aura jamais eu à parcourir, de la brassière à ta bouche. Y’a aussi l’option biberon, qui fonctionne sur à peu près le même principe, donné par une personne avec barbe facultative, mais toujours très cernée (la personne, pas la barbe). Dans les deux cas, t’as pas grand-chose à faire pour te nourrir localement de façon bio écolo durable végé, et c’est comme ça pendant un christie de bout.*
Puis, on devient adulte, faut faire l’épicerie soi-même, parce que téter le téton de maman, quand on est rendu dans la vingtaine, c’est mal vu par notre société oppressante.
T’as juste à regarder ailleurs, société!
– Mathieu, amateur de lait sucré tiède à 36 degrés Celsius, et fier de l’être
Devant l’étal des légumes et fruits (avez-vous déjà remarqué comment c’est weird de les dire dans cet ordre-là? T’as l’impression d’écouter un disque d’Oates and Hall), le réflexe local se perd rapidement. Surtout quand le portefeuille s’en mêle (esti qu’il se mêle souvent pas de ses affaires, lui, pareil). Une petite patate de l’Idaho à 30 cennes par ici, un petit oignon moscovite à 12 pour 1 écu par là, et boum : notre assiette est rendue aussi internationale que la télé québécoise selon Jean-François Lisée. Les agriculteurs de Bruxelles se frottent les mains, pendant que les fermiers d’ici se meurent au milieu d’un champ de choux dont personne n’a voulu.
J’ai demandé au seul bok choy qu’on voit à l’épicerie depuis 20 ans pis il m’a dit que mon panier était pas raciste.
– Caroline, fière de dire qu’elle cuisine parfois des rouleaux impériaux en toute amitiéAïe. J’espère qu’on a pas fait de la peine à Jean-François.
– Mathieu, qui feele pas pour lire une chronique qui commence par «Chers Mathieu et Caroline» et qui n’a certainement pas envie de faire partie de la famille élargie des Lisée, lui qui va déjà pas voir la sienne à Noël
C’est pourquoi l’autonomie alimentaire, c’est important. Et c’est notre sujet cette semaine.
Eille, ça c’est toutte qu’un sujet posé, mes champions.
– Notre prof de secondaire 4, en pyjama et en dépression à cheval entre l’enseignement, la retraite, la mort et son prochain Zoom
L’AUTONOMIE ALIMENTAIRE DU QUÉBEC

On vous entend. «Bon, v’là les Vas-tu qui embarquent dans le train des idées trendy, qui essaient de surfer sur la vague pour faire du clic», que vous vous dites.
C’est vrai que tout le monde parle de l’autonomie alimentaire, ces temps-ci. Surtout dans les milieux où tout le monde en parle, c’est-à-dire chez les fonctionnaires attitrés contre leur gré au dossier de l’autonomie alimentaire.
Si le sujet est si hot, c’est parce que le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries, de la Chasse à l’ours, du Sucre à crème et de l’Alimentation, M. André «au top de» Lamontagne, a récemment annoncé un investissement de 157 millions de dollars pour l’autonomie alimentaire. Ça semble peu, mais 157 millions, c’est assez pour acheter au moins huit pommes de salade et trois tomates du Québec au mois de février.
On voulait faire l’indépendance alimentaire, mais on a été battus. Au fond, par quoi? Par l’argent et des avocats du Mexique.
– Jacques Patate Rizeau
Dans la vidéo préparée par la CAQ (la Coalition des Aliments du Québec, menée par François Légume), on peut voir le ministre frotter une pomme locale contre son veston d’ici, et se rendre compte en le faisant qu’il ne peut pas manger une pomme du Québec tout en portant un masque régional.

Il déclare ensuite : «Au Québec, on a raison d’être fiers de ce qu’on produit. Et encore plus de nos aliments.» Pas cool pour les producteurs de ressorts de sièges d’auto et de petits cossins pour couper le coin des poches de lait du Québec, mais ok.
Il poursuit : «Ce qu’on produit, c’est une partie de nous.» Oui, chers compatriotes. Nous sommes tous en partie pomme de Rougemont, en partie tomate de la Montérégie et en partie grosse feuille d’un genre de kale jurassique super amer et coriace produit par un agriculteur qui met ça en généreux bouquet dans ton panier bio hebdomadaire en se trouvant vraiment drôle.
«Je vous invite tous et toutes à manger nos produits.» Oui, NOS produits. Parce que le manger, c’est comme le Canadien de Montréal : tu peux dire qu’«on» a gagné même si tu patines sur la bottine ou que tu t’es endormi saoul avant la troisième période, et t’as pas besoin d’avoir planté un navet ou même d’avoir envie d’en manger un pour dire que c’est «ton produit».
Mais comment faire pour bien se manger le produit, et ce, le plus souvent possible? Voici notre petit guide pour grignoter local.
PREMIÈRE ÉTAPE : OÙ SE TROUVER UN LOCAL
Pis là, on parle pas du local de pratique où tu dis que tu vas aller jouer pour devenir le prochain Nirvana, mais que tu finis par apprendre juste la moitié d’une toune de Gérard Lenorman pis que tu réussis à te fucker dans le refrain en t’enfargeant dans la rallonge électrique de ton tambourin. On parle de quand ça vient de proche, là.
Moi le gentil dauphin/Je n’y suis pour rien/Je ne suis pas méchant tu le sais bien… ha pis de la marde.
– Caroline, tannée avant même la fin du premier refrain, qui remise son gazou acoustique
On a toujours pensé qu’on mangeait local, parce qu’on achète tous nos pamplemousses au IGA juste à côté de la maison. Messemble que tu fais pas plus local que quand tu prends des nouvelles du cockatiel de Blandine, la caissière qui scanne tes ananas en conserve.
Hé ben non. Semblerait qu’on avait tort. Il faut pas juste que tu l’achètes local, il faut que celui qui l’achète là où toi tu l’achètes l’ait acheté local là où il l’a acheté.
Faque pour trouver du et pas un local, faut r’garder les étiquettes. Trouver un p’tit logo «Aliments du Québec», qui ne demande aucun test des valeurs québécoises afin de certifier qu’un aliment a été produit ou transformé en Nouvelle-France. Serrer la pince à un homard de la Gaspésie pis scanner son numéro pour voir sa capture sur YouTube, comme un origin story avant la passe finale dans le beurre à l’ail. Se greyer de son propre Fardoche en adoptant un fermier de famille, qui te droppe un panier plein de bonnes choses (pis des fois du panais) chaque semaine, même dans une tempête de verglas en février.
Tu peux aussi te fier à ton gros bon sens. D’après toi, du pitaya, ça a-tu l’air de pousser entre deux épinettes et une plaque de lichen dans la taïga? Probablement pas, non. Laisse ça là, et prends plutôt ce délicieux bouquet d’escaroles du Québec. Et bonne chance avec ton dessert…
DEUXIÈME ÉTAPE : SE RENDRE COMPTE QUE C’EST IMPORTANT, L’IMPORTANCE DU LOCAL DE L’ALIMENTATION
On a tous déjà croisé cette publication Facebook qui fait accroire que c’est niaiseux d’acheter des oignons verts à l’épicerie, parce que t’as juste à laisser traîner tes restants d’échalotes comme un dentier dans un verre d’eau pour en avoir éternellement chez vous.
Mais quand tu l’essaies, tu comprends pourquoi les gens postent toujours juste la photo de leur échalote éternelle la première semaine : ça pousse un peu au début, pis après ça, ça se remplit de schmu et ça stalle. Et quand bien même ça pousserait, ça prendrait combien de temps, avoir notre supply d’oignons verts pour un pad thaï? Par chez nous, on mange à peu près un paquet d’oignons verts par semaine. À moins de dédier la chambre d’ami qu’on n’a pas à la pousse des oignons vert pâle pleins de schmu dans des verres d’eau, c’est pas une vraie option.
Tout ça pour dire qu’on a besoin des agriculteurs. C’est important d’encourager les agriculteurs d’ici, et pas juste parce qu’on pense que ceux de l’Ontario pis du Vermont peuvent ben crever.
Manger local et essayer d’atteindre l’autonomie alimentaire, c’est soutenir l’économie locale, c’est préserver notre savoir-faire agricole, c’est diminuer la pollution liée au transport et au suremballage, et c’est arrêter de manger des fraises beiges dehors pis blanches en dedans qui goûtent rien en plein mois de février.
Si tu veux de la vraie saveur, laisse faire la fraise de la Californie, et croque dans un navet de la Montérégie!
– Mathieu et Caro, qui essaient des slogans en espérant finir par travailler en pub
DEUXIÈME ÉTAPE ET DEMIE : PARTICIPE À NOTRE AUTONOMIE ALIMENTAIRE
Ce texte à propos de l’autonomie alimentaire est une demande spéciale d’Anne Sainte-Marie, qui nous soutient sur Patreon. On la remercie de sa contribution, qui nous permet d’atteindre, nous aussi, l’autonomie alimentaire. Dans le sens où on n’a plus besoin d’aller chez nos parents pour ramener trois plats Tupperware de lasagne congelée, on a les moyens d’aller au IGA.
Tu veux garnotter tes sous dans notre chapeau de quêteux toi aussi? C’est super facile! Passe sur notre Patreon.
En échange, tu auras droit à ces goodies :
- Tu reçois une infolettre mensuelle exclusive, qui recense toutes les affaires intéressantes qu’on a écoutées/vues/lues/regardées pendant le mois
- Tu es informé.e 24 heures avant la plèbe de la parution d’un nouveau texte
- Tu nous donnes une tape dans le dos virtuelle qui nous remplit le coeur de bonheur et le mâche-patates de cochonneries à goûter
On va terminer cette pub comme le premier ministre termine sa vidéo : avec un «merci» suivi d’un petit sourire un peu niais.

TROISIÈME ÉTAPE : RENDRE GLOIRE À TON TERROIR
Au risque de sonner comme des Mathieu Bock-Côté de Dollarama (opinions cheap produites en série copiées d’ailleurs répétées à l’infini mais toujours avec un p’tit bout croche) : non, mais elle est pas belle, la gastronomie québécoise?
De la même façon que les Québécois se sont développé une culture distincte en étant les seuls à parler français en Amérique du Nord (si, comme des Christian Rioux du Rossy, on exclut tous les francophones du Manitoba, du Nouveau-Brunswick, de la Louisiane et de la diaspora acadienne), et donc à pouvoir comprendre les intrigues de District 31 dans le texte, l’assiette québécoise s’est développée de façon distincte par le fait que nos ancêtres n’avaient pas le choix de trouver un moyen d’inclure créativement du topinambour dans chaque repas incluant le snack de 23 h passé le mois de novembre.
En 2020, on n’est pas obligés de continuer à manger comme Émilie Bordeleau qui accouche dans’ neige ou Tex Lecor qui fête Noël au camp, mais utiliser les produits d’ici, les transformer et les faire fitter juste assez à la crowbar dans notre recette de ramen, c’est poursuivre la cuisson d’un genre de mijoté culturel entamé par ceux et celles qui nous ont précédés, il y a 400 kek années. (Ou pas mal plus que 400 ans, si tu n’écartes pas les Autochtones, comme une Denise Bombardier du Tigre Géant.)
Ce que les gens mangent, et comment ils le mangent, c’est aussi de la culture. Manger local, c’est donc faire vivre la culture québécoise, autant qu’acheter une toile de Borduas pour décorer sa salle de bain, ou engager Safia Nolin pour chanter à l’anniversaire de sa nièce de huit ans.
Cue l’hymne national du Québec!
*Si t’es chanceux. Parce que des fois, plus souvent qu’on le pense, la nourriture apparaît pas toujours magiquement sur la table quand t’es un enfant. C’est pour ça qu’on peut participer en ligne à la Guignolée des médias pour remplir les banques alimentaires.
– Caroline et Mathieu, qui en profitent pour te rappeler que c’est pas tout le monde qui mange à sa faim de façon locale et terminent un texte pas pire drôle avec un esti de downer
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